Basé sur “Être ou ne pas être CTO”, chapitre “Définir la stratégie technique”.
Situation réelle
“Notre vision technique ? Euh… on fait du bon code ?” Cette réponse revient souvent quand on demande à une équipe technique quelle est sa vision. Elle traduit une absence de stratégie claire, mais aussi une difficulté à articuler une vision technique qui guide les décisions au quotidien.
Ce que j’ai observé : une vision technique n’est pas une liste de technologies cool à adopter. C’est une stratégie claire qui explique où vous êtes, où vous allez, comment vous y allez, et pourquoi. Sans cette vision, les décisions techniques deviennent réactives plutôt que stratégiques, et l’équipe perd son cap.
Le faux problème
Le faux problème serait de croire qu’une vision technique doit être parfaite dès le départ, ou qu’elle doit couvrir tous les détails techniques. En réalité, une vision technique est un document vivant qui évolue avec le contexte. L’important n’est pas qu’elle soit parfaite, mais qu’elle soit claire, partagée, et alignée avec les objectifs business.
Un autre faux problème : penser qu’une vision technique est uniquement pour l’équipe tech. En réalité, elle doit être compréhensible par le business et alignée avec les objectifs de l’organisation. Une vision technique qui ignore le business est une vision qui ne sera pas financée.
Le vrai enjeu CTO
Le vrai enjeu est triple :
Articuler une vision claire et partagée : Une vision technique doit expliquer l’état actuel (sans sugar-coating), l’état désiré (réaliste et inspirant), et le chemin pour y arriver (roadmap avec milestones). Cette vision doit être comprise par l’équipe tech, mais aussi par les execs et le board.
Aligner tech et business : Une vision technique qui ignore les besoins business est vouée à l’échec. Le CTO doit traduire les besoins business en stratégie technique, et expliquer comment la stratégie technique sert les objectifs business. Cette traduction est cruciale pour obtenir le budget et le support nécessaires.
Adapter la vision au contexte : Une vision technique pour une startup de 10 personnes n’a rien à voir avec une vision pour une corporate de 500 personnes. Le CTO doit adapter sa vision au stade de l’organisation, aux contraintes réelles, et aux priorités du moment.
Cadre de décision
Voici les principes qui m’ont aidé à construire et communiquer une vision technique :
1. Être honnête sur l’état actuel
L’état actuel doit être décrit sans sugar-coating. Monolithe PHP 7.4 (EOL proche), déploiements manuels (3h, 30% fail rate), tests à 15% coverage, documentation obsolète, tech debt estimé à 6 mois de dev. Cette honnêteté permet à l’équipe et aux execs de comprendre la réalité. Sans cette base honnête, la vision perd en crédibilité.
2. Définir un état désiré réaliste et inspirant
L’état désiré doit être à la fois réaliste (atteignable en 3 ans) et inspirant (qui donne envie de travailler vers cet objectif). Services découplés et scalables, déploiements automatisés (15min, 95% success), tests à 80% coverage, documentation à jour, tech debt gérable (<1 sprint/quarter). Cet état désiré guide les décisions quotidiennes.
3. Construire une roadmap avec milestones clairs
La roadmap doit être découpée en milestones réalistes. Year 1 : Stabilize (CI/CD pipeline, tests coverage 40% → 70%, monitoring complet). Year 2 : Modernize (extract 3 key services from monolith, migrate PHP 7.4 → 8.3, API Gateway). Year 3 : Scale (multi-region deployment, 99.9% SLA, auto-scaling). Ces milestones permettent de mesurer les progrès et d’ajuster si nécessaire.
4. Établir des principes qui guident les décisions
Les principes techniques guident les décisions au quotidien. “Developer experience first” (tools, docs, onboarding = priority), “Build vs Buy : Default to buy” (focus differentiation, pas reinvent), “Security by design” (not afterthought), “Pragmatic > Perfect” (ship fast, iterate), “Measure everything” (data-driven decisions). Ces principes aident l’équipe à prendre des décisions cohérentes avec la vision.
5. Adapter la communication à l’audience
La vision technique doit être communiquée différemment selon l’audience. Pour l’équipe tech : détails techniques, roadmap détaillée, principes techniques. Pour les execs : business impact, risques mitigés, investment requis, timeline. Pour le board : stratégie alignée business, risk management, budget & ROI. Chaque audience a besoin d’informations différentes pour comprendre et soutenir la vision.
Retour terrain
Ce que j’ai observé dans différentes organisations :
Ce qui fonctionne : Une vision technique construite avec l’équipe, pas imposée d’en haut. Présenter un draft, recueillir les retours, itérer. Cette approche collaborative crée de l’adhésion et améliore la qualité de la vision. Une vision régulièrement mise à jour (trimestriellement ou semestriellement) reste pertinente et alignée avec le contexte.
Ce qui bloque : Une vision technique trop vague (“on fait du bon code”) ou trop détaillée (liste exhaustive de toutes les technologies). Une vision qui ignore les besoins business ou qui n’est pas communiquée régulièrement. Une vision figée qui ne s’adapte pas aux changements de contexte.
L’alignement business-tech : Quand le business veut une feature X et que la tech veut refactoriser Y, le CTO doit expliquer le trade-off. “Pour livrer Feature X rapidement et fiablement, on doit d’abord refactoriser Y (2 semaines). Sans refactor : 8 semaines + bugs. Avec refactor : 4 semaines total, stable.” Cette explication permet au business de comprendre pourquoi le refactoring est nécessaire et à la tech d’obtenir le temps nécessaire.
L’adaptation au contexte : Une startup (0-50 pers) se concentre sur la vitesse de mise sur le marché, avec une vision simple et flexible. Une scale-up (50-200) équilibre innovation et fiabilité, avec une gestion systématique de la dette technique. Une corporate (200+) se concentre sur la gouvernance, l’échelle et la sécurité, avec des standards et des processus. La vision doit s’adapter à ce contexte.
Erreurs fréquentes
Vision trop vague
“On fait du bon code” ou “On utilise les meilleures technologies” ne sont pas des visions. Une vision doit être spécifique, mesurable, et actionnable. Sans cette spécificité, elle ne guide pas les décisions.
Vision non alignée avec le business
Une vision technique qui ignore les besoins business est une vision qui ne sera pas financée. Le CTO doit traduire les besoins business en stratégie technique et expliquer comment la stratégie technique sert les objectifs business.
Vision trop ambitieuse
Une vision qui promet la lune en 6 mois est une vision qui ne sera pas atteinte. Mieux vaut une vision réaliste avec des milestones clairs qu’une vision ambitieuse mais irréalisable.
Vision non communiquée
Une vision technique qui reste dans la tête du CTO est une vision qui n’existe pas. Elle doit être communiquée régulièrement à l’équipe tech, aux execs, et au board. Chaque audience a besoin d’informations différentes.
Vision figée
Une vision technique qui ne s’adapte pas aux changements de contexte devient obsolète. Elle doit être régulièrement mise à jour (trimestriellement ou semestriellement) pour rester pertinente.
Si c’était à refaire
Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :
Construire la vision avec l’équipe
Plutôt que de construire la vision seul, impliquer l’équipe dès le début. Présenter un draft, recueillir les retours, itérer. Cette approche collaborative crée de l’adhésion et améliore la qualité de la vision.
Mesurer régulièrement les progrès
Mettre en place des métriques pour mesurer les progrès vers la vision : engineering productivity (deploy frequency, lead time, MTTR), business impact (time to market, system uptime, cost per transaction), team health (retention, satisfaction, onboarding time). Ces métriques permettent d’ajuster la vision si nécessaire.
Communiquer régulièrement
Ne pas attendre le board meeting pour communiquer la vision. Présenter régulièrement (mensuellement ou trimestriellement) les progrès vers la vision à l’équipe tech et aux execs. Cette communication continue maintient l’alignement et l’engagement.
Adapter la vision au contexte
Reconnaître que la vision doit s’adapter au stade de l’organisation. Une startup n’a pas les mêmes priorités qu’une corporate. La vision doit refléter ces différences.
Pour approfondir
Le livre “Être ou ne pas être CTO” explore la stratégie technique en profondeur, avec des templates, des cas réels, et des interviews de CTOs sur leur processus de définition de vision.
Pour approfondir, tu peux aussi consulter les pages piliers du site ou les guides mis à disposition.