Situation réelle

“Je dors 4h par nuit depuis 3 mois. Je ne supporte plus les réunions. Je snape sur l’équipe pour des broutilles. Mais c’est juste une phase difficile, non ?” Cette minimisation, je l’ai pratiquée et vue chez des dizaines de CTOs.

Ce que j’ai observé : le burn-out ne arrive pas brutalement. C’est une dégradation progressive qu’on rationalise jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Reconnaître les signaux tôt permet d’agir avant la destruction complète.

Le faux problème

Le faux problème serait de croire que le burn-out est un signe de faiblesse personnelle. En réalité, c’est souvent le résultat d’une situation insoutenable qu’on tente de tenir trop longtemps.

Un autre faux problème : penser qu’il faut attendre l’effondrement total avant d’agir. En réalité, plus on attend, plus la récupération est longue et difficile.

Le vrai enjeu CTO

Le vrai enjeu est de reconnaître les signaux précoces et d’agir avant qu’ils deviennent irréversibles :

Les 3 phases du burn-out :

  • Phase 1 (réversible) : fatigue inhabituelle, difficultés de concentration, irritabilité ponctuelle
  • Phase 2 (alarme) : sommeil détruit, anxiété constante, cynisme, désengagement
  • Phase 3 (effondrement) : incapacité à travailler, dépress ion, symptômes physiques

Les signaux physiques : Sommeil non réparateur (<6h ou insomnie), maux de tête fréquents, tensions musculaires persistantes, problèmes digestifs, fatigue chronique qui ne part pas avec le repos.

Les signaux émotionnels : Irritabilité disproportionnée, anxiété constante, sentiment d’impuissance, perte de sens, cynisme croissant, détachement émotionnel.

Les signaux comportementaux : Procrastination inhabituelle, évitement de certaines tâches ou personnes, consommation accrue (alcool, café, écrans), isolement social, négligence de soi.

Les signaux professionnels : Baisse de performance, erreurs inhabituelles, difficulté à prendre des décisions, perte de créativité, sentiment que tout est urgent/rien n’est important.

Le déni classique : “C’est juste une mauvaise période”, “Après ce projet ça ira mieux”, “Les autres comptent sur moi”, “Je ne peux pas me permettre de craquer”. Ces rationalisations retardent l’action.

Cadre de décision

Voici comment je surveille et agis sur les signaux :

1. Auto-évaluation hebdomadaire Chaque vendredi : note de 1 à 10 sur sommeil, énergie, motivation, irritabilité. Tendance sur 4 semaines plus révélatrice qu’un point isolé.

2. Les signaux d’alarme immédiats

  • Sommeil <5h pendant >2 semaines
  • Pensées intrusives constantes sur le travail
  • Incapacité à déconnecter en weekend
  • Symptômes physiques nouveaux → Action immédiate nécessaire

3. Distinguer fatigue normale et burn-out Fatigue normale : récupération avec une semaine de vacances. Burn-out : les vacances ne changent rien, retour épuisé dès J+2.

4. Demander du feedback à des proches “Est-ce que tu me trouves différent ces derniers mois ?” Les proches voient souvent les signaux avant nous.

5. Actions selon la phase

  • Phase 1 : ajuster charge, déléguer, protéger sommeil
  • Phase 2 : congés + réorganisation profonde du rôle
  • Phase 3 : arrêt travail + accompagnement médical

Retour terrain

Ce que j’ai observé chez moi et d’autres CTOs :

Le burn-out qui détruit : 18 mois de signaux ignorés (“après la levée ça ira mieux”, “après le lancement ça ira mieux”). Résultat : effondrement complet, 6 mois d’arrêt, récupération difficile, perte de confiance durable.

L’intervention précoce qui sauve : Signaux phase 1 identifiés, 2 semaines de congés, réorganisation du rôle (VP Eng recruté), retour avec capacité restaurée. Résultat : burn-out évité, impact durable.

Les signaux qu’on rationalise : “C’est normal d’être fatigué, je suis CTO”, “Tout le monde est stressé en startup”, “Après ce sprint ça ira mieux”. Ces rationalisations permettent de tenir… jusqu’à l’effondrement.

Le coût du déni : Plus on nie les signaux, plus la récupération est longue. Phase 1 : 2 semaines suffisent. Phase 3 : 6-12 mois de récupération.

Erreurs fréquentes

Minimiser les signaux “C’est juste de la fatigue, ça va passer.” Résultat : progression vers burn-out complet sans intervention.

Attendre “le bon moment” pour agir “Après ce projet je me reposerai.” Résultat : le “bon moment” n’arrive jamais, les projets s’enchaînent.

Confondre burn-out et faiblesse Croire que c’est un problème personnel à résoudre seul. Résultat : pas de support, dégradation continue.

Ne pas modifier la situation Prendre des vacances mais revenir dans la même situation. Résultat : récupération temporaire, rechute garantie.

Si c’était à refaire

Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :

Surveiller les métriques personnelles Tenir un journal simple : sommeil, énergie, motivation. Cette surveillance permet de voir les tendances avant qu’elles deviennent critiques.

Agir dès la phase 1 Ne pas attendre que les signaux deviennent sévères. Ajuster la charge dès que la tendance devient négative pendant 4 semaines.

Demander du support plus tôt Parler à un mentor, un pair CTO, un thérapeute dès les premiers signaux. Ce support permet de garder la lucidité.

Modifier la situation, pas juste me reposer Les vacances ne suffisent pas si la situation de fond est insoutenable. Identifier ce qui doit changer structurellement : délégation, recrutement, ou départ.

Pour approfondir

Le livre “Être ou ne pas être CTO” explore le burn-out avec des témoignages de CTOs qui l’ont vécu et comment ils s’en sont sortis.

Pour approfondir, tu peux aussi consulter l’article “Quand démissionner” ou les autres contenus du pilier “Le rôle du CTO”.