Situation réelle

“Je suis censé avoir les réponses, comment puis-je avouer que je ne sais pas ?” Cette pensée, je l’ai eue des centaines de fois. Le titre de CTO crée une attente : celui qui sait, celui qui décide, celui vers qui on se tourne. Mais la réalité du rôle est pleine d’incertitudes, de situations nouvelles, de questions sans réponses évidentes.

Ce que j’ai observé : les CTOs qui réussissent ne sont pas ceux qui ont toutes les réponses, mais ceux qui savent où chercher et à qui demander. Savoir demander de l’aide n’est pas une faiblesse, c’est une compétence critique du rôle.

Le faux problème

Le faux problème serait de croire que demander de l’aide détruit la crédibilité. En réalité, prétendre tout savoir et prendre de mauvaises décisions détruit bien plus la crédibilité que d’admettre une limite et chercher du support.

Un autre faux problème : penser qu’il faut demander de l’aide uniquement quand on est en crise. En réalité, demander régulièrement de l’aide permet d’éviter la plupart des crises.

Le vrai enjeu CTO

Le vrai enjeu est de distinguer vulnérabilité productive et vulnérabilité paralysante :

Vulnérabilité productive : “Je ne sais pas si microservices est le bon choix pour nous. J’ai identifié 3 options. Quelqu’un a de l’expérience avec ce type de transition ?” Cette vulnérabilité montre lucidité et recherche de décision éclairée.

Vulnérabilité paralysante : “Je ne sais pas quoi faire, tout est compliqué, je suis perdu.” Cette vulnérabilité sans direction crée de l’anxiété sans permettre le support.

Le paradoxe du rôle : L’équipe vient vers toi pour des réponses. Le CEO vient vers toi pour des décisions. Le board vient vers toi pour de la clarté. Mais toi, vers qui vas-tu quand tu as des doutes ?

Les angles morts invisibles : Personne ne manage le CTO comme le CTO manage l’équipe. Pas de supérieur technique qui donne du feedback, challenge les décisions, ou offre du mentoring. Sans aide externe, ces angles morts deviennent dangereux.

Cadre de décision

Voici comment et auprès de qui je demande de l’aide :

1. Auprès de pairs CTOs Pour : décisions stratégiques techniques, dilemmes de posture, situations nouvelles. Pourquoi eux : comprennent le contexte, pas de jugement, réciprocité. Fréquence : mensuel minimum, plus si nécessaire.

2. Auprès de mentors Pour : décisions de carrière, gestion de situations complexes avec le board, développement personnel. Pourquoi eux : recul, expérience, bienveillance. Fréquence : trimestriel.

3. Auprès de l’équipe Pour : validation de décisions techniques, compréhension de la complexité réelle, idéation collective. Pourquoi eux : expertise technique, connaissance du contexte. Attention : ne pas décharger l’anxiété stratégique.

4. Auprès du CEO Pour : décisions qui impactent le business, besoin de budget ou de temps, arbitrages stratégiques. Pourquoi lui : alignement nécessaire, vision business. Attention : venir avec analyse et options, pas juste des problèmes.

5. Auprès de consultants/experts externes Pour : sujets très spécialisés (sécurité, scalabilité, architecture), audits techniques. Pourquoi eux : expertise pointue, regard neuf. Attention : coût élevé, réserver aux sujets critiques.

Retour terrain

Ce que j’ai observé dans différentes organisations :

Le CTO qui ne demande jamais d’aide : Prend toutes ses décisions seul, maintient une façade de contrôle total. Résultat : angles morts massifs, décisions sous-optimales, burn-out silencieux.

Le CTO qui expose sa vulnérabilité sans direction : Partage ses doutes et anxiétés à l’équipe sans demander d’aide spécifique. Résultat : anxiété collective, perte de confiance, paralysie.

Le réseau de pairs qui transforme : Rejoindre un groupe de CTOs qui se rencontrent mensuellement. Découvrir que d’autres ont les mêmes doutes, les mêmes dilemmes. Partager des solutions, des échecs, des apprentissages. Cette pratique réduit la solitude et améliore les décisions.

La demande d’aide qui renforce : “J’hésite entre ces 3 architectures. Quelqu’un a de l’expérience sur ce type de choix ?” Cette vulnérabilité ciblée montre lucidité et recherche d’excellence. Elle renforce la crédibilité plutôt que de la détruire.

Erreurs fréquentes

Ne jamais demander d’aide Maintenir une façade de contrôle total. Résultat : angles morts, mauvaises décisions, isolement progressif, burn-out.

Demander de l’aide trop tard Attendre la crise avant de chercher du support. Résultat : moins d’options disponibles, décisions sous pression, perception d’incompétence.

Décharger l’anxiété sans demander d’aide Partager ses doutes et inquiétudes sans direction claire ni demande spécifique. Résultat : création d’anxiété collective sans obtenir de support.

Demander de l’aide aux mauvaises personnes Demander à l’équipe de l’aide sur des sujets stratégiques qui ne sont pas de leur ressort, ou au CEO de l’aide sur des sujets techniques trop pointus. Résultat : mauvais conseils ou frustration mutuelle.

Si c’était à refaire

Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :

Construire un réseau de pairs dès le début Ne pas attendre d’être en difficulté. Investir dans des relations avec d’autres CTOs avant d’en avoir besoin. Cette proactivité permet d’avoir du support disponible quand nécessaire.

Demander régulièrement, pas seulement en crise Partager mes réflexions et dilemmes avec mon réseau de pairs mensuellement, pas juste quand je suis bloqué. Cette habitude normalise la demande d’aide et la rend plus facile.

Être spécifique dans mes demandes Plutôt que “J’ai besoin d’aide”, formuler “Je suis face à cette décision, j’ai identifié ces options, voici mes doutes. Quelqu’un a de l’expérience sur ce sujet ?”

Documenter ce que j’apprends Quand je demande de l’aide et que ça m’aide réellement, documenter les apprentissages. Cette pratique crée une base de connaissance personnelle et facilite le partage en retour.

Pour approfondir

Le livre “Être ou ne pas être CTO” explore comment différents CTOs gèrent la solitude du rôle et construisent leurs réseaux de support.

Pour approfondir, tu peux aussi consulter l’article “La solitude du CTO : mythe, réalité et angles morts” ou les autres contenus du pilier “Le rôle du CTO”.