Situation réelle
“Je ne dors plus. Je redoute chaque board meeting. Je n’ai plus d’impact. Mais démissionner, c’est abandonner l’équipe, non ?” Cette tension, je l’ai vécue et vue chez des dizaines de CTOs. Savoir quand partir est aussi important que savoir comment arriver.
Ce que j’ai observé : rester trop longtemps dans un rôle qui ne convient plus détruit à la fois le CTO et l’organisation. Partir au bon moment est un acte de lucidité et de responsabilité, pas un abandon.
Le faux problème
Le faux problème serait de croire que partir est toujours un échec. En réalité, certaines situations ne se résolvent pas, certains rôles ne conviennent plus à certaines étapes de vie. Reconnaître ce décalage est une forme de maturité.
Un autre faux problème : penser qu’on doit tenir jusqu’au burn-out. En réalité, partir avant l’épuisement total permet une transition plus saine pour soi et pour l’organisation.
Le vrai enjeu CTO
Le vrai enjeu est de distinguer les difficultés normales des signaux d’alarme qui indiquent qu’il faut partir :
Difficulté normale : inconfort temporaire : Pression board ponctuelle, conflit technique à résoudre, erreur à corriger, période de forte charge. Ces situations sont inconfortables mais gérables et temporaires.
Signal d’alarme : détresse durable : Burn-out imminent, perte de sens complète, impossibilité d’avoir un impact, valeurs incompatibles, contexte toxique irréversible. Ces situations ne se résolvent pas en restant.
Les 7 signaux qui doivent alerter :
- Impact nul : mes décisions ne changent rien, mes recommandations sont ignorées
- Valeurs incompatibles : l’organisation demande des choses contraires à mes valeurs
- Burn-out imminent : sommeil détruit, santé dégradée, relations personnelles affectées
- Perte de sens totale : je ne comprends plus pourquoi je fais ce métier
- Contexte toxique irréversible : culture toxique que je ne peux pas changer
- Inadéquation phase/compétences : l’organisation a besoin d’un profil différent
- Aucune évolution possible : j’ai tenté de corriger pendant 6-12 mois sans changement
Cadre de décision
Voici comment je décide si c’est le moment de partir :
1. Distinguer symptôme temporaire et problème structurel Épuisement après un sprint difficile : temporaire. Épuisement qui dure depuis 6 mois malgré les vacances : structurel.
2. Tenter de corriger avant de partir Discuter avec le CEO, proposer des changements, demander des moyens. Documenter ces tentatives. Si rien ne change après 3-6 mois, c’est structurel.
3. Mesurer l’impact réel Est-ce que je change encore des choses ? Est-ce que mes décisions sont appliquées ? Est-ce que j’ai de l’influence ? Si non depuis 6 mois, mon rôle est probablement vide.
4. Évaluer le coût personnel Santé, relations, sommeil, sens. Si le rôle détruit ces dimensions, aucun salaire ne justifie de rester.
5. Anticiper plutôt que subir Partir quand on le décide (position de force) plutôt que quand on est épuisé (position de faiblesse). Cette anticipation permet une transition plus saine.
Retour terrain
Ce que j’ai observé dans différentes organisations :
Le CTO qui reste trop longtemps : Signaux d’alarme depuis 18 mois, mais reste par loyauté. Résultat : burn-out sévère, départ brutal, transition chaotique, récupération longue (6-12 mois).
Le CTO qui part au bon moment : Identifie l’inadéquation (phase scale-up nécessite compétences org qu’il n’a pas), en discute avec CEO, trouve successeur, transition propre. Résultat : départ respecté, récupération rapide, opportunité suivante plus alignée.
Le CTO qui s’acharne : Tente de corriger une culture toxique irréversible pendant 2 ans. Résultat : épuisement total, perte de confiance en soi, difficultés à rebondir.
Les signaux qu’on ignore : “C’est juste une mauvaise période”, “Ça va s’améliorer”, “Je dois tenir pour l’équipe”. Ces justifications retardent souvent une décision nécessaire.
Erreurs fréquentes
Confondre loyauté et sacrifice Rester dans un rôle toxique par loyauté envers l’équipe. Résultat : destruction personnelle sans aider réellement l’équipe.
Ne pas tenter de corriger Partir dès la première difficulté sans tenter d’améliorer la situation. Résultat : pattern de fuite qui se répète.
Attendre le burn-out complet Rester jusqu’à l’épuisement total avant de partir. Résultat : transition chaotique, récupération longue, impact négatif sur carrière.
Ne pas préparer la transition Partir brutalement sans préparer la suite. Résultat : chaos pour l’organisation, culpabilité personnelle.
Si c’était à refaire
Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :
Identifier les signaux plus tôt Ne pas attendre 18 mois de signaux d’alarme. Réagir dès que plusieurs signaux persistent pendant 3-6 mois.
Documenter les tentatives de correction Garder trace des échanges, des propositions, des décisions. Cette documentation clarifie la situation et facilite la décision.
Anticiper la transition Commencer à préparer mon départ (successeur, documentation, transition) dès que la décision devient probable. Cette anticipation permet une sortie plus propre.
Partir en position de force Démissionner quand je le décide, pas quand je suis épuisé. Cette timing permet de négocier la transition et de rebondir plus facilement.
Pour approfondir
Le livre “Être ou ne pas être CTO” explore les transitions de rôle avec des témoignages de CTOs qui ont quitté au bon moment et d’autres qui sont restés trop longtemps.
Pour approfondir, tu peux aussi consulter l’article “Les signaux d’alarme d’un CTO en burn-out” ou les autres contenus du pilier “Le rôle du CTO”.