Situation réelle

“Je veux partir, mais l’équipe compte sur moi. Comment faire sans les abandonner ?” Cette tension entre besoin personnel de partir et loyauté envers l’équipe est l’un des dilemmes les plus difficiles du rôle.

Ce que j’ai observé : une transition bien préparée peut être bénéfique pour l’équipe. Une transition précipitée ou mal gérée peut créer du chaos. La différence réside dans la préparation et la communication.

Le faux problème

Le faux problème serait de croire que rester coûte que coûte est la seule forme de loyauté. En réalité, un CTO épuisé ou désengagé nuit plus à l’équipe qu’un départ bien préparé.

Un autre faux problème : penser qu’on est irremplaçable. En réalité, toute organisation doit pouvoir survivre au départ de n’importe qui, CTO inclus. Si ce n’est pas le cas, c’est une fragilité organisationnelle à corriger.

Le vrai enjeu CTO

Le vrai enjeu est de préparer une transition qui respecte à la fois son besoin de partir et la santé de l’équipe :

Les erreurs de transition : Partir brutalement (démission sans préavis ni transition), partir silencieusement (annonce le dernier jour), partir en déversant sa frustration (critique tout en partant), partir sans documenter (contexte et décisions perdus).

Les éléments d’une bonne transition : Anticipation (préparer 2-3 mois avant l’annonce), communication claire (pourquoi je pars, ce n’est pas à cause de l’équipe), documentation (décisions, contextes, contacts), formation du successeur (si déjà identifié), clôture propre (projets terminés ou transmis clairement).

Le timing optimal : Idéalement : décider → préparer (2-3 mois) → annoncer → transition (2-3 mois) → départ. Moins idéal mais parfois nécessaire : décider → annoncer (préavis légal) → transition rapide.

La communication à l’équipe : Transparence sur les raisons (sans blâmer), rassurance (pas à cause d’eux), clarté sur la suite (qui reprend, calendrier), disponibilité pour questions.

Cadre de décision

Voici comment je prépare une transition responsable :

1. Phase préparatoire (avant l’annonce)

  • Documenter décisions et contextes critiques
  • Identifier ce qui doit absolument être transmis
  • Évaluer l’état des projets en cours
  • Préparer le plan de transition

2. L’annonce (ordre et timing)

  • D’abord au CEO (discussion privée, négociation préavis)
  • Ensuite à l’équipe rapprochée (lead devs, managers)
  • Puis à l’équipe complète (all-hands)
  • Enfin aux stakeholders externes (clients, partenaires)

3. La période de transition

  • Formation du successeur (si identifié)
  • Documentation intensive
  • Passage de relais progressif
  • Disponibilité pour questions
  • Terminer ou transmettre projets critiques

4. Les dernières semaines

  • Rétrospective avec l’équipe (apprentissages, erreurs, réussites)
  • Transmission des derniers contextes
  • Disponibilité post-départ (mail, téléphone) selon accord
  • Clôture émotionnelle (reconnaissance, célébration)

5. Post-départ (optionnel mais apprécié)

  • Disponibilité limitée pour questions urgentes (1-2 mois)
  • Aide au recrutement du successeur si demandé
  • Pas d’ingérence dans les nouvelles décisions

Retour terrain

Ce que j’ai observé dans différentes transitions :

La transition brutale : CTO annonce son départ avec préavis minimum. Pas de documentation, pas de transition. Résultat : chaos organisationnel, équipe déstabilisée, projets bloqués, sentiment d’abandon.

La transition culpabilisante : CTO annonce son départ en expliquant tout ce qui ne va pas dans l’organisation. Résultat : équipe démoralisée, bridges brûlés, réputation ternie.

La transition professionnelle : CTO anticipe 3 mois, prépare documentation, forme successeur, communique clairement. Résultat : transition fluide, équipe rassurée, départ respecté.

La disponibilité post-départ : Offrir 1-2 mois de disponibilité limitée (2-3h/mois) pour questions urgentes. Cette continuité rassure l’équipe et facilite la transition du successeur.

Erreurs fréquentes

Démission brutale Annoncer son départ avec préavis minimum sans préparation. Résultat : chaos, sentiment d’abandon, réputation ternie.

Sur-préparation paralysante Attendre “le bon moment” qui n’arrive jamais. Résultat : rester trop longtemps dans une situation insoutenable.

Tout documenter parfaitement Vouloir documenter chaque décision avant de partir. Résultat : burnbout pendant la transition, départ retardé indéfiniment.

Rester trop impliqué post-départ Continuer à prendre des décisions après être parti. Résultat : le successeur ne peut pas prendre son rôle, l’équipe reste dépendante.

Si c’était à refaire

Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :

Anticiper plus tôt Dès que la décision de partir devient probable, commencer à documenter et préparer. Cette anticipation évite le stress de la transition.

Communiquer plus clairement Expliquer précisément pourquoi je pars (nouvelle opportunité, besoin de changement) sans blâmer. Cette clarté évite les malentendus.

Négocier le préavis selon les besoins Discuter avec le CEO : 2 mois peut être trop court, 6 mois trop long. Trouver l’équilibre entre mes besoins et ceux de l’organisation.

Documenter différemment Pas tout documenter, mais documenter ce qui compte vraiment : décisions structurantes, contextes critiques, contacts clés.

Pour approfondir

Le livre “Être ou ne pas être CTO” explore différentes transitions de CTOs avec leurs erreurs et réussites.

Pour approfondir, tu peux aussi consulter l’article “Quand démissionner” ou les autres contenus du pilier “Le rôle du CTO”.