Situation réelle

Board meeting. “Pourquoi la vélocité a baissé de 20% ?” “Quand est-ce qu’on pourra scaler à 10× le trafic ?” “Notre concurrence livre 2× plus vite, qu’est-ce qui bloque ?” La pression est réelle, les questions légitimes. Et l’équipe, qui donne déjà tout, n’a pas besoin d’entendre cette pression brute.

Ce que j’ai observé : une partie essentielle mais invisible du rôle de CTO est de filtrer la pression. Pas de l’éliminer, mais de la transformer en contexte actionnable plutôt qu’en anxiété paralysante.

Le faux problème

Le faux problème serait de croire qu’il faut protéger complètement l’équipe de toute pression. Une équipe totalement isolée des réalités business devient déconnectée. L’enjeu est de filtrer, pas d’occulter.

Un autre faux problème : penser que répercuter toute la pression board telle quelle “challenge” l’équipe. En réalité, ça la paralyse ou la brûle.

Le vrai enjeu CTO

Le vrai enjeu est de transformer la pression en contexte et en direction claire :

La pression board est légitime mais décontextualisée : Le board voit les KPIs, les comparaisons concurrence, les risques business. Il ne voit pas le contexte technique : la dette accumulée, la complexité réelle, les compromis déjà faits. Répercuter cette pression sans recontextualiser crée de l’incompréhension.

L’équipe a besoin de clarté, pas d’urgence : “Le board panique, il faut aller plus vite !” ne donne aucune direction. “On doit prioriser la scalabilité sur les nouvelles features pendant 6 semaines parce que notre croissance accélère” donne une direction claire.

Filtrer n’est pas mentir : Transformer “Pourquoi vous êtes si lents ?” en “Comment on peut améliorer la vélocité ?” n’est pas cacher la vérité, c’est recontextualiser de manière productive.

Porter l’incertitude sans la décharger : Le board exprime des inquiétudes légitimes. Le CTO les porte et les transforme en plan d’action plutôt que de les répercuter en anxiété collective.

Cadre de décision

Voici comment je filtre la pression board vers l’équipe :

1. Séparer signal et bruit Questions board légitimes qui nécessitent une action vs inquiétudes générales qui ne changent rien à nos priorités. Partager le signal, filtrer le bruit.

2. Transformer critique en direction “Pourquoi c’est si lent ?” devient “On a identifié 3 optimisations prioritaires pour améliorer notre throughput de 30% en 8 semaines.”

3. Contextualiser les comparaisons “Notre concurrent livre 2× plus vite” devient “Notre concurrent a fait des choix différents (moins de qualité, plus de bugs). On pourrait faire pareil, mais voici les conséquences. Qu’est-ce qui fait sens pour nous ?”

4. Partager les priorités, pas l’anxiété Plutôt que “Le board panique sur la scalabilité”, partager “La scalabilité devient priorité #1 pour les 2 prochains mois, voici pourquoi et comment on l’adresse.”

5. Protéger le temps de l’équipe Ne pas transformer chaque question board en réunion d’urgence ou en rapport détaillé. Mon rôle est de répondre au board, pas de mobiliser l’équipe entière pour répondre.

Retour terrain

Ce que j’ai observé dans différentes organisations :

La pression répercutée sans filtre : Chaque board meeting déclenche une cascade d’urgences dans l’équipe. “Le board a demandé X”, “Le board s’inquiète de Y”. Résultat : l’équipe devient anxieuse, change de priorité toutes les 2 semaines, perd son focus.

La bulle totale : Un CTO qui ne partage jamais aucun contexte board. L’équipe ignore pourquoi certaines décisions sont prises, pourquoi certaines priorités changent. Résultat : sentiment d’arbitraire, décisions incomprises.

Le filtre productif : Board meeting mensuel → digestion pendant 48h → partage à l’équipe des nouvelles priorités avec contexte mais sans anxiété. “Voici ce qui change et pourquoi. Voici notre plan.” Résultat : équipe informée, direction claire, pas de panique.

Le coût personnel : Filtrer la pression signifie la porter soi-même. Cette charge émotionnelle est invisible mais réelle. D’où l’importance d’avoir des pairs CTOs avec qui décharger.

Erreurs fréquentes

Répercuter l’anxiété board Transformer chaque tension board en tension équipe. “Le board panique !” Résultat : équipe paralysée, vélocité qui baisse, exactement l’inverse de ce qui est souhaité.

Multiplier les “urgences board” Chaque question board devient une urgence pour l’équipe. Résultat : l’équipe apprend que “urgent board” ne veut rien dire, et ignore même les vraies urgences.

Ne jamais partager le contexte Garder toute l’information board pour soi. Résultat : décisions incomprises, sentiment que les priorités sont arbitraires.

Porter seul toute la pression Ne jamais décharger cette pression auprès de pairs ou d’un mentor. Résultat : burn-out silencieux, décisions qui se dégradent par manque de recul.

Si c’était à refaire

Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :

Créer un rythme de communication clair Board meeting mensuel → synthèse partagée à l’équipe en all-hands hebdo. Ce rythme prévisible évite les cascades d’urgences et permet de digérer l’information.

Transformer systématiquement critique en action Avant de partager une information board à l’équipe, me demander : quelle action concrète cela implique ? Si pas d’action, pas besoin de partager l’anxiété.

Construire un réseau de pairs plus tôt D’autres CTOs avec qui décharger la pression board sans filtre. Ces conversations m’évitent de porter seul et me donnent de la perspective.

Documenter les décisions board Garder une trace écrite des priorités board et de leur évolution. Cette documentation permet de montrer la cohérence dans le temps et évite le sentiment de changements erratiques.

Pour approfondir

Le livre “Être ou ne pas être CTO” explore comment différents CTOs gèrent la relation au board selon leur contexte.

Pour approfondir, tu peux aussi consulter l’article “Entre loyauté envers l’équipe et loyauté envers l’entreprise” ou les autres contenus du pilier “Le rôle du CTO”.