Situation réelle
“Demande-moi si tu ne sais pas.” Cette phrase bienveillante peut créer une dynamique toxique : junior qui demande systématiquement au lieu de chercher, senior qui devient goulot.
Ce que j’ai observé : la formation peut émanciper ou infantiliser. Tout dépend de comment elle est donnée et reçue.
Le faux problème
Le faux problème serait de croire que plus de formation = meilleure équipe. En réalité, trop de guidance crée dépendance, pas autonomie.
Un autre faux problème : penser qu’autonomie = laisser se débrouiller seul. En réalité, autonomie se construit avec structure et support progressif.
Le vrai enjeu CTO
Le vrai enjeu est de former pour rendre autonome, pas pour créer dépendance :
Les 3 types de formation (et leur impact) :
Type 1 - La formation qui infantilise : Caractéristiques : donner réponse directe systématiquement, faire à la place de, protéger de l’erreur. Pattern : “Laisse, je vais le faire, ça ira plus vite.” Résultat court terme : tâche faite rapidement. Résultat long terme : junior reste dépendant, senior devient goulot, pas de progression.
Type 2 - L’abandon déguisé en autonomie : Caractéristiques : “Débrouille-toi” sans contexte, framework ou support. Pattern : “Lis la doc, tu verras.” Résultat court terme : senior libéré. Résultat long terme : junior perdu, erreurs coûteuses, frustration, turnover.
Type 3 - La formation qui émancipe : Caractéristiques : donner framework et contexte, laisser chercher avec garde-fous, débriefer apprentissages. Pattern : “Voici le contexte, voici où trouver les ressources, essaie, je suis dispo pour débloquer si besoin, on débriefe après.” Résultat : autonomie progressive, apprentissage profond, confiance.
Le framework de formation progressive :
Niveau 1 - Observer (I do, you watch) : Senior fait, junior observe. Explication : “Voici ce que je fais et pourquoi.” Quand : découverte d’un domaine nouveau. Durée : 1-2 occurrences max.
Niveau 2 - Accompagner (I do, you help) : Senior fait, junior aide et pose questions. Senior explique décisions. Quand : compréhension basique acquise. Durée : 2-3 occurrences.
Niveau 3 - Guider (You do, I help) : Junior fait, senior donne contexte/framework/garde-fous, disponible pour débloquer. Quand : framework compris, exécution à pratiquer. Durée : 5-10 occurrences avec débriefs.
Niveau 4 - Autonomiser (You do, I review) : Junior fait seul, senior review après. Feedback sur résultat et processus. Quand : exécution maîtrisée. Durée : continu avec espacement progressif des reviews.
Niveau 5 - Déléguer (You do) : Junior totalement autonome. Senior disponible pour cas exceptionnels. Quand : maîtrise démontrée. Durée : permanent.
Cadre de décision
Voici comment je forme sans infantiliser :
1. Diagnostiquer le niveau actuel Où est la personne sur framework 1-5 pour cette compétence ? Pas supposer, vérifier. Cette clarté évite sur- ou sous-estimer.
2. Expliciter attente et framework Pas “fais X”, mais “voici contexte, contraintes, ressources, attente résultat.” Ce cadre donne direction sans script.
3. Laisser chercher avant de répondre Question junior → “Qu’est-ce que tu as déjà essayé ?” Si rien essayé, renvoyer chercher 15-30min. Cette friction développe autonomie.
4. Débriefer le processus, pas juste le résultat Après tâche : “Qu’est-ce qui était difficile ? Comment tu as résolu ? Qu’est-ce que tu ferais différemment ?” Ce débrief ancre apprentissage.
5. Progresser explicitement dans les niveaux “Tu es niveau 3 sur ce sujet, prochain objectif : niveau 4. Voici ce qui change.” Cette progression claire motive.
Retour terrain
Ce que j’ai observé dans différentes situations :
La dépendance créée : Senior répond systématiquement aux questions junior. 6 mois plus tard, junior toujours dépendant, pose mêmes types de questions. Senior frustré, goulot. Résultat : aucune progression, junior fragile.
L’abandon toxique : “Débrouille-toi, tu verras.” Junior fait erreur coûteuse (supprime data prod). Blame. Résultat : peur d’agir, paralysie, culture toxique.
La formation progressive : Junior arrive. Semaine 1-2 : observe senior (niveau 1). Semaine 3-4 : aide senior (niveau 2). Semaine 5-8 : fait avec framework et senior disponible (niveau 3). Mois 3-6 : fait seul avec review (niveau 4). Mois 6+ : autonome (niveau 5). Résultat : progression claire, confiance, autonomie.
L’exemple du débrief : Junior livre feature. Senior : “Nickel. Maintenant, racontremoi : qu’est-ce qui était dur ? Comment tu as résolu ? Si c’était à refaire ?” → 15min discussion. Ce débrief transforme action en apprentissage profond.
Le piège de la vitesse : Senior fait à la place “parce que ça va plus vite”. Court terme : vrai. Long terme : junior ne progresse jamais, senior prisonnier. Correction : accepter que formation prend du temps, investir maintenant pour autonomie future.
Erreurs fréquentes
Répondre systématiquement Junior pose question → senior donne réponse directe. Résultat : dépendance créée, pas d’autonomie.
Protéger de l’erreur “Ne touche pas à ça, c’est complexe.” Résultat : junior reste junior, pas de progression.
Pas de débrief Tâche faite, on passe à la suite. Résultat : action sans apprentissage, répétition d’erreurs.
Sauter les niveaux Niveau 1 (observer) directement à niveau 4 (autonome). Résultat : échec, frustration.
Si c’était à refaire
Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :
Framework de formation explicite Partager niveaux 1-5 avec l’équipe. Chacun sait où il est sur chaque compétence. Cette clarté guide progression.
Question avant réponse Junior pose question → “Qu’as-tu déjà essayé ?” Si rien, renvoyer chercher 15min. Cette friction systématique développe réflexe recherche.
Débrief systématique Après chaque tâche significative : 10-15min débrief processus. Template : “Difficultés ? Solutions trouvées ? Ferais différemment ?” Ce rituel ancre apprentissage.
Mesurer progression Tracker : après X mois, junior à quel niveau sur compétences clés ? Cette mesure force accountability formation.
Pour approfondir
Le livre "Être ou ne pas être CTO" explore comment créer une culture d’apprentissage qui émancipe.
Pour approfondir, tu peux aussi consulter l’article "Autonomie des équipes" ou les autres contenus du pilier "Culture & management".