Situation réelle

“Ton travail n’est pas au niveau attendu.” Cette phrase nécessaire peut détruire ou construire, selon comment elle est dite et ce qui suit.

Ce que j’ai observé : le feedback difficile est l’un des moments les plus importants du management. Bien fait, il aide. Mal fait, il détruit la confiance et la performance pour des mois.

Le faux problème

Le faux problème serait de croire qu’on peut éviter le feedback difficile. En réalité, éviter la vérité est une forme de lâcheté qui nuit à la personne et à l’équipe.

Un autre faux problème : penser que bienveillance = ne jamais dire de choses dures. En réalité, le vrai respect, c’est dire la vérité pour permettre la progression.

Le vrai enjeu CTO

Le vrai enjeu est de dire la vérité de manière à ce qu’elle soit entendue, pas rejetée :

Les 4 types de feedback difficile :

Type 1 - Performance insuffisante : Contexte : résultats en-deçà des attentes malgré efforts. Exemple : développeur ne livre pas la qualité attendue depuis 3 mois. Enjeu : comprendre pourquoi (compétence ? charge ? clarté attentes ?), donner cadre clair amélioration. Piège : généraliser (“Tu codes mal”) au lieu de préciser (“Ces 3 pull requests ont ces problèmes spécifiques”).

Type 2 - Comportement toxique : Contexte : attitude qui nuit à l’équipe (sarcasme, non-collaboration, mépris). Exemple : dev senior méprisant avec juniors. Enjeu : stopper comportement rapidement, clarifier non-négociables. Piège : tolérer parce que “performant techniquement”.

Type 3 - Décision contestée : Contexte : choix technique ou organisationnel fortement remis en question. Exemple : choix architecture critiqué par équipe. Enjeu : expliquer pourquoi, écouter objections, ajuster si nécessaire ou tenir position. Piège : défensivité ou autoritarisme.

Type 4 - Limitation de progression : Contexte : personne veut promo/évolution mais niveau pas atteint. Exemple : dev veut devenir senior mais manque compétences. Enjeu : clarifier gap précisément, donner roadmap concrète. Piège : faux espoir ou vague (“travaille ta communication”).

Les 5 principes du feedback difficile :

Principe 1 - Rapidité : Feedback donné max 1 semaine après observation. Pas attendre review annuelle. Cette rapidité évite accumulation et permet correction.

Principe 2 - Précision : Pas “ton code est moyen”, mais “ces 3 PRs ont ces problèmes spécifiques : [exemples concrets]”. Cette précision rend feedback actionnable.

Principe 3 - Séparation personne/comportement : “Ce comportement pose problème” (pas “Tu es problématique”). “Ce code a ces défauts” (pas “Tu codes mal”). Cette séparation préserve dignité.

Principe 4 - Support concret : Feedback + plan d’action + support. “Voici le problème + voici ce qui doit changer + voici comment je t’aide”. Cette combinaison montre intention constructive.

Principe 5 - Suivi régulier : Feedback difficile → check-in 1 semaine + 2 semaines + 1 mois. Ce suivi montre engagement et permet ajustement.

Cadre de décision

Voici comment je structure le feedback difficile :

1. Préparer le feedback (avant la conversation) Questions : quel comportement/résultat précis ? Quel impact sur équipe/projet ? Quelle attente claire ? Quel support possible ? Cette préparation évite improvisation.

2. Créer contexte safe One-on-one privé, pas public. Temps suffisant (45-60min). Pas de distractions. Ce contexte permet conversation vraie.

3. Structure conversation Introduction : “J’ai observé X, je veux en parler avec toi.” Faits précis : “Voici situations concrètes [exemples].” Impact : “Voici pourquoi c’est un problème.” Écoute : “Qu’est-ce qui se passe de ton côté ?” Plan : “Voici ce qui doit changer, voici comment je t’aide.” Timeline : “On se revoit dans 1 semaine.”

4. Documenter échange Notes écrites : date, faits discutés, attentes clarifiées, plan convenu, échéances. Cette documentation protège les deux parties.

5. Suivre concrètement Check-in réguliers, support actif, ajustements si nécessaire. Ce suivi transforme feedback en amélioration.

Retour terrain

Ce que j’ai observé dans différentes situations :

Le feedback évité : Manager évite conversation difficile pendant 6 mois. Accumulation. Explosion. Résultat : développeur surpris, relation détruite, départ.

Le feedback brutal : “Ton code est nul, ça doit changer.” Pas de précision, pas de support. Résultat : démotivation, défensivité, pas d’amélioration.

Le feedback bien fait : “J’ai observé ces 3 problèmes précis dans ton code ces 3 dernières semaines [exemples]. Ça impacte la qualité et ralentit l’équipe. Parlons-en : qu’est-ce qui se passe ?” → Écoute. “Voici ce qui doit changer d’ici 3 semaines. Je te propose 2h de pair programming/semaine pour t’aider. On se revoit chaque lundi.” Résultat : amélioration visible en 2 semaines, relation préservée.

L’exemple du comportement toxique : Dev senior sarcastique avec juniors. Feedback : “J’ai observé 3 situations où tu as été méprisant [exemples précis]. C’est non-négociable : ce comportement doit cesser immédiatement. Si ça se reproduit, on passe en warning formel.” Résultat : comportement change ou séparation rapide. Dans les deux cas, équipe protégée.

Erreurs fréquentes

Sandwich de feedback “C’est bien, MAIS voici le gros problème, mais sinon c’est cool.” Résultat : message dilué, personne ne sait ce qui doit vraiment changer.

Généralités vagues “Tu dois améliorer ta communication.” Résultat : personne ne sait quoi faire concrètement.

Éviter trop longtemps Attendre 6 mois avant de dire. Résultat : problème amplifié, solution plus difficile, surprise et frustration.

Donner feedback sans écouter Monologue sans comprendre contexte. Résultat : causes réelles non adressées, amélioration impossible.

Si c’était à refaire

Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :

Feedback difficile dans la semaine Pas attendre. Observation → max 1 semaine → conversation. Cette rapidité évite accumulation et permet correction rapide.

Template de préparation Avant chaque feedback difficile : remplir template (faits précis, impact, attente, support possible). Cette structure évite impro.

Formation managers au feedback Workshop sur comment donner feedback difficile. Roleplay. Cette pratique développe compétence critique.

Documenter systématiquement Toute conversation difficile → notes partagées avec personne. Cette documentation évite malentendus et protège.

Pour approfondir

Le livre "Être ou ne pas être CTO" explore comment créer une culture de feedback honnête et constructif.

Pour approfondir, tu peux aussi consulter l’article "Le paradoxe du manager bienveillant et exigeant" ou les autres contenus du pilier "Culture & management".