Situation réelle
“Quand je suis devenu CTO, je codais 60% du temps. Aujourd’hui, 10%. Quand je suis devenu CTO, je pensais en sprints. Aujourd’hui, je pense en trimestres et années.” Cette évolution, beaucoup de CTOs la vivent sans la choisir consciemment.
Ce que j’ai observé : le rôle de CTO évolue avec la croissance de l’organisation. Le CTO qui code 80% à 5 personnes doit devenir stratégique à 50 personnes. Cette transition est difficile car elle demande d’abandonner ce qui a fait son succès initial.
Le faux problème
Le faux problème serait de croire qu’il existe un moment précis où “basculer” vers le stratégique. En réalité, c’est une transition progressive qui commence dès les premières embauches.
Un autre faux problème : penser que devenir stratégique signifie abandonner toute compétence technique. En réalité, la crédibilité technique reste nécessaire, mais son usage change.
Le vrai enjeu CTO
Le vrai enjeu est de comprendre ce qui change et comment gérer cette transition :
Ce qui caractérise le CTO technique : Focus opérationnel (livrer, coder, architecture), horizon court terme (sprints, trimestres), impact direct mesurable, satisfaction immédiate, équipe 0-15 personnes.
Ce qui caractérise le CTO stratégique : Focus vision (où va-t-on dans 1-3 ans), horizon long terme (années), impact indirect et différé, satisfaction différée, organisation 30+ personnes.
Les compétences à développer : Vision technique à long terme (anticiper les besoins tech dans 2-3 ans), communication stakeholders (board, CEO, clients), recrutement et development de leaders (construire une org, pas juste une équipe), gestion politique (naviguer les conflits d’intérêts), pensée systémique (optimiser l’org, pas juste la tech).
Les compétences à déléguer : Décisions d’architecture quotidiennes, code reviews, choix de stack pour projets individuels, résolution de bugs, mentoring technique direct.
Le coût émotionnel : Perte de la satisfaction immédiate du code qui marche, sentiment d’être déconnecté du terrain, doute sur sa valeur ajoutée (passer de “j’ai livré” à “l’équipe a livré”), solitude accrue dans les décisions.
Cadre de décision
Voici comment je gère cette transition :
1. Observer les signaux que la transition est nécessaire
- L’équipe attend mes décisions et bloque
- Je deviens bottleneck sur code reviews ou architecture
- Je n’ai plus de temps pour penser stratégie
- L’organisation grandit (20-30 personnes)
2. Déléguer progressivement Ne pas tout lâcher d’un coup. Commencer par déléguer les décisions réversibles, garder les décisions structurantes. Augmenter progressivement sur 6-12 mois.
3. Développer les compétences stratégiques Commencer à penser à horizon 12-24 mois, participer au business planning, comprendre les enjeux financiers, développer sa communication board.
4. Accepter le deuil du rôle précédent Reconnaître que le CTO technique qui code 60% a fait son temps à cette taille d’organisation. Ce n’est pas un échec, c’est une évolution nécessaire.
5. Garder un pied technique 10-20% de code (proto, spike), lecture de code reviews critiques, veille techno. Juste assez pour garder crédibilité sans devenir bottleneck.
Retour terrain
Ce que j’ai observé dans différentes organisations :
Le CTO qui ne transition pas : Organisation à 50 personnes, CTO qui code encore 40%, valide toutes les décisions techniques. Résultat : bottleneck massif, équipe frustrée, turnover des talents, pas de vision stratégique.
La transition brutale ratée : CTO qui passe de 60% code à 0% du jour au lendemain. Résultat : perte de crédibilité technique, équipe désorientée, décisions déconnectées de la réalité.
La transition progressive réussie : Sur 12 mois, passage de 40% à 15% de code, délégation progressive, développement des compétences stratégiques. Résultat : équipe autonome, vision claire, crédibilité maintenue.
Le CTO qui ne veut pas évoluer : Refuse la transition, veut rester technique. Résultat : soit départ volontaire, soit replacement par quelqu’un de plus stratégique.
Erreurs fréquentes
Refuser la transition Vouloir rester le CTO hands-on alors que l’organisation a besoin de stratégie. Résultat : devenir bottleneck, bloquer l’organisation, ou être remplacé.
Transition trop brutale Passer de très technique à purement stratégique du jour au lendemain. Résultat : perte de crédibilité, décisions déconnectées, équipe méfiante.
Ne pas développer les nouvelles compétences Continuer à optimiser ses compétences techniques sans développer vision, communication, politique. Résultat : incompétence dans le nouveau rôle.
Rester nostalgique du rôle précédent Constamment regretter le temps où “je codais vraiment”. Résultat : auto-sabotage, retour régulier au code au détriment du stratégique.
Si c’était à refaire
Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :
Anticiper la transition plus tôt Commencer à déléguer et développer les compétences stratégiques dès 15-20 personnes, pas attendre d’être submergé à 50.
Faire accompagner la transition Mentor ou coach pour développer les compétences stratégiques. Cette guidance accélère la transition et évite les erreurs classiques.
Documenter ce que je délègue Créer des ADRs, des guidelines, des frameworks de décision. Cette documentation permet de déléguer sans perte de qualité.
Accepter le deuil plus sereinement Arrêter de regretter le rôle précédent. Le nouveau rôle a ses propres satisfactions, différentes mais réelles.
Pour approfondir
Le livre “Être ou ne pas être CTO” explore cette transition avec des témoignages de CTOs à différentes étapes.
Pour approfondir, tu peux aussi consulter l’article “CTO vs Lead Dev vs VP Engineering” ou les autres contenus du pilier “Le rôle du CTO”.