Situation réelle

Après avoir observé, accompagné et échangé avec des dizaines de CTOs, certains patterns d’erreurs reviennent systématiquement. Pas par manque de compétence technique, mais par mécompréhension de ce que le rôle demande vraiment.

Ce que j’ai observé : ces erreurs ne sont pas des défauts personnels, ce sont des pièges structurels du rôle. Comprendre ces patterns permet de les reconnaître chez soi avant qu’ils deviennent toxiques.

Le faux problème

Le faux problème serait de croire qu’il existe une “bonne” posture de CTO universelle. En réalité, la posture doit s’adapter au contexte : taille d’organisation, maturité technique, culture existante.

Un autre faux problème : penser que ces erreurs révèlent une incompétence. En réalité, elles sont souvent le signe d’une transition difficile d’un rôle précédent vers celui de CTO.

Le vrai enjeu CTO

Le vrai enjeu est de reconnaître ces patterns tôt et de les corriger avant qu’ils créent des dégâts :

Erreur #1 : Rester dans le code (40-60% du temps) : Symptôme : le CTO livre des features, fait toutes les code reviews critiques, intervient sur les hotfixes. Cause : difficulté à lâcher la satisfaction immédiate du code. Impact : bottleneck, décisions stratégiques négligées, équipe dépendante. Correction : accepter que le rôle a changé, déléguer réellement, bloquer temps stratégique.

Erreur #2 : Vouloir avoir raison plutôt que trouver la solution : Symptôme : débats techniques interminables, refus d’admettre une erreur, imposer sa vision. Cause : crédibilité technique perçue comme liée à l’infaillibilité. Impact : résistance de l’équipe, mauvaises décisions maintenues, perte de talents. Correction : valoriser la lucidité sur l’ego, accepter d’avoir tort publiquement.

Erreur #3 : Optimiser pour l’élégance technique au détriment du business : Symptôme : refactorisations massives, standards extrêmement élevés, rejet des compromis. Cause : identité technique forte, difficultés à accepter la “dette stratégique”. Impact : vélocité faible, frustration business, déconnexion de la réalité. Correction : comprendre que la meilleure solution technique n’est pas toujours la bonne solution business.

Erreur #4 : Ne jamais dire non : Symptôme : accepter toutes les demandes, toutes les timelines, tous les scopes. Cause : peur de décevoir, difficulté à gérer les conflits. Impact : dette technique explosive, promesses non tenues, burn-out équipe. Correction : apprendre à dire non avec alternatives, construire un cadre de décision partagé.

Erreur #5 : Microgérer les décisions techniques : Symptôme : valider chaque choix technique, imposer ses préférences, ne pas faire confiance. Cause : difficulté à déléguer, peur de perte de contrôle. Impact : équipe déresponsabilisée, ralentissement, turnover des talents. Correction : créer un cadre de décision, faire confiance, intervenir uniquement sur décisions structurantes.

Erreur #6 : Ignorer la dimension humaine : Symptôme : focus uniquement sur la tech, ignorance des signaux de burn-out, manque d’empathie. Cause : croyance que “la tech parle d’elle-même”. Impact : turnover élevé, perte de talents, culture toxique. Correction : investir autant dans les personnes que dans l’architecture.

Cadre de décision

Voici comment je détecte ces erreurs chez moi :

1. Observer ma répartition de temps Si je code plus de 20%, je suis probablement dans l’erreur #1. Si je passe plus de 30% en débats techniques, je suis probablement dans l’erreur #2.

2. Écouter les signaux de l’équipe “Tu bloques cette PR depuis 3 jours” → erreur #5. “On a encore changé de priorité” → erreur #4. “Je ne comprends pas pourquoi on fait ça” → erreur #3.

3. Mesurer les indicateurs organisationnels Turnover > 20% → probablement erreur #6. Vélocité en baisse continue → probablement erreur #3 ou #4. Dépendance forte au CTO pour les décisions → probablement erreur #5.

4. Demander du feedback régulier À l’équipe, au CEO, aux pairs. “Quelle est l’une de mes postures qui vous frustre ?” Cette question directe révèle des angles morts.

5. Tenir un journal de décisions Documenter mes décisions importantes et revisiter après 3-6 mois. Lesquelles étaient bonnes ? Lesquelles étaient motivées par l’ego ou la peur ?

Retour terrain

Ce que j’ai observé dans différentes organisations :

Le CTO technique brillant qui détruit : Excellence technique indéniable, mais reste dans le code 60% du temps, impose des standards impossibles, ne délègue pas. Résultat : vélocité divisée par 2, turnover élevé, business frustré.

Le CTO qui dit toujours oui : Sympath ique, veut que tout le monde soit content. Accepte tous les délais, tous les scopes. Résultat : dette technique explosive après 18 mois, équipe épuisée, promesses impossibles à tenir.

Le CTO qui micromanage : Valide chaque décision, impose chaque détail. Résultat : équipe déresponsabilisée, les bons partent, ceux qui restent attendent qu’on leur dise quoi faire.

Le CTO qui évolue : Reconnaît ses erreurs, demande du feedback, ajuste sa posture. Pas parfait, mais lucide. Résultat : amélioration continue, respect de l’équipe, impact durable.

Erreurs fréquentes

Ne pas reconnaître ses propres patterns Croire qu’on est différent, que ces erreurs n’arrivent qu’aux autres. Résultat : répétition des mêmes erreurs sans correction.

Corriger trop brutalement Passer de “je code 60%” à “je ne code plus jamais” du jour au lendemain. Résultat : perte de crédibilité technique, équipe désorientée.

Ne pas demander de feedback Attendre que les problèmes explosent avant de réaliser qu’on a un problème de posture. Résultat : correction tardive, dégâts déjà importants.

Vouloir être parfait Croire qu’on peut éliminer toutes ces erreurs immédiatement. Résultat : frustration, auto-flagellation improductive. Mieux vaut amélioration progressive.

Si c’était à refaire

Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :

Demander du feedback dès le début Mettre en place un système de feedback régulier (mensuel) avec équipe et CEO dès la prise de poste. Cette pratique permet de détecter les erreurs tôt.

Tenir un journal de décisions Documenter mes décisions importantes et les revisiter régulièrement. Cette pratique crée une boucle d’apprentissage et révèle mes patterns.

Trouver un mentor ou peer coach plus tôt Quelqu’un qui peut m’appeler sur mes angles morts sans complaisance. Cette relation permet d’identifier les erreurs avant qu’elles deviennent habitudes.

Accepter que la transition prend du temps Arrêter de me flageller pour chaque erreur. La transition de développeur à CTO prend 12-24 mois. C’est normal de tâtonner.

Pour approfondir

Le livre “Être ou ne pas être CTO” explore ces erreurs de posture avec des témoignages de CTOs sur leurs propres erreurs et comment ils les ont corrigées.

Pour approfondir, tu peux aussi consulter les autres articles du pilier “Le rôle du CTO” ou l’article sur “Ce que le rôle de CTO ne doit pas devenir”.