Situation réelle

“On sait tous que cette architecture est morte, mais personne n’ose dire qu’il faut tout refaire.” “Cette personne ne performe pas depuis 6 mois, mais personne ne veut gérer.” “On devrait arrêter ce projet, mais le CEO y tient.” Ces décisions, personne ne veut les prendre. Elles finissent par remonter au CTO.

Ce que j’ai observé : certaines décisions sont structurellement inconfortables. Elles impliquent des conflits, des déceptions, des risques. Le rôle de CTO inclut de prendre ces décisions que personne d’autre ne prendra.

Le faux problème

Le faux problème serait de croire que ces décisions sont évitables. En réalité, les reporter les rend plus coûteuses. Le courage n’est pas de ne pas avoir peur, c’est d’agir malgré la peur.

Un autre faux problème : penser qu’il existe une façon de prendre ces décisions sans inconfort. En réalité, l’inconfort est intrinsèque. L’enjeu est de l’assumer sans le fuir.

Le vrai enjeu CTO

Le vrai enjeu est de reconnaître ces décisions et de les prendre avant qu’elles deviennent des crises :

Les 7 décisions que personne ne veut prendre :

1. Arrêter un projet raté : Situation : projet en échec depuis 6 mois, tout le monde le sait, personne ne dit stop. Pourquoi c’est dur : reconnaître l’échec, sunken cost fallacy, décevoir les porteurs. Coût de l’évitement : 6 mois de plus gaspillés, dette qui explose.

2. Gérer une non-performance : Situation : personne qui ne livre pas depuis des mois. Pourquoi c’est dur : empathie, peur du conflit, espoir que ça s’améliore. Coût de l’évitement : reste de l’équipe démotivé, vélocité globale baissée, turnover des bons.

3. Dire non au CEO : Situation : CEO veut feature impossible dans timeline. Pourquoi c’est dur : rapport hiérarchique, peur de décevoir, pression. Coût de l’évitement : promesse impossible, échec public, crédibilité détruite.

4. Abandonner une techno legacy : Situation : stack obsolète, tout le monde sait qu’il faut migrer. Pourquoi c’est dur : coût énorme, risque, pas de valeur business visible. Coût de l’évitement : dette qui grandit, recruter devient impossible, vélocité s’effondre.

5. Restructurer l’équipe : Situation : organisation qui ne scale pas, silos, inefficacité. Pourquoi c’est dur : bouleverser les habitudes, gérer résistances. Coût de l’évitement : inefficacité grandissante, frustration, départs.

6. Couper un partenariat raté : Situation : prestataire qui ne livre pas, relation dégradée. Pourquoi c’est dur : contrat, relations, peur du vide. Coût de l’évitement : continuer à payer pour de la non-qualité.

7. Admettre son erreur publiquement : Situation : décision passée qui était mauvaise. Pourquoi c’est dur : ego, peur de perdre crédibilité. Coût de l’évitement : persister dans l’erreur, perdre plus de crédibilité.

Cadre de décision

Voici comment j’identifie et prends ces décisions :

1. Reconnaître les signaux Décision évitée = tout le monde sait qu’il faut faire X, mais personne ne le fait. Observer les non-dits, les sujets qu’on évite en réunion.

2. Évaluer le coût de l’évitement Pas juste le coût immédiat, mais le coût accumulé. Chaque mois d’évitement rend la décision plus coûteuse.

3. Préparer la décision Données objectives, options considérées, raisonnement clair. Cette préparation permet de défendre la décision.

4. Communiquer clairement Expliquer : pourquoi maintenant, pourquoi cette option, ce qu’on attend, comment on mesure. Cette clarté réduit la résistance.

5. Assumer les conséquences La décision créera de l’inconfort, des déceptions, peut-être des départs. C’est normal. Ne pas revenir en arrière au premier inconfort.

Retour terrain

Ce que j’ai observé dans différentes situations :

Le projet qu’on arrête pas : Projet en échec depuis 12 mois, 200k€ investis. Tout le monde sait que ça ne marchera jamais. Sunken cost fallacy. CTO finit par trancher : on arrête. Résultat immédiat : soulagement de l’équipe, capacité libérée, focus sur ce qui marche.

La non-performance qu’on ne gère pas : Développeur senior qui ne livre plus depuis 8 mois. Espoir que “ça va s’améliorer”. Équipe frustrée, vélocité baissée. CTO finit par gérer (PIP puis séparation). Résultat : moral équipe remonté, vélocité +30%.

Le non au CEO qui sauve : CEO veut refonte complète en 2 mois. CTO dit non, explique pourquoi, propose alternative. CEO mécontent mais accepte. 6 mois plus tard : alternative livrée avec succès, relation CTO-CEO renforcée.

L’erreur admise qui renforce : CTO avait choisi techno X, c’était une erreur. Admet publiquement, propose migration. Résultat : crédibilité renforcée (courage d’admettre), équipe rassurée.

Erreurs fréquentes

Reporter indéfiniment Espérer que le problème se résoudra seul. Résultat : le problème empire, devient plus coûteux, finit en crise.

Prendre la décision sans préparation Décider sous le coup de l’émotion ou de la pression. Résultat : mauvaise décision, regrets, perte de crédibilité.

Ne pas communiquer le raisonnement Annoncer la décision sans expliquer. Résultat : incompréhension, résistance, rumors.

Revenir en arrière au premier obstacle Prendre la décision difficile puis la diluer face aux résistances. Résultat : pire des deux mondes, perte de crédibilité totale.

Si c’était à refaire

Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :

Identifier plus tôt Observer les décisions qu’on évite en réunion. Quels sujets on contourne ? Ces non-dits révèlent les décisions difficiles.

Agir plus vite Prendre la décision dès qu’identifiée, pas 6 mois plus tard. Chaque mois d’évitement rend la décision plus coûteuse.

Sur-communiquer Expliquer 3 fois plutôt qu'1 : le pourquoi, le comment, les critères de succès. Cette redondance réduit l’incompréhension.

Accepter l’inconfort Arrêter d’espérer que ces décisions deviendront confortables. Elles ne le seront jamais. C’est OK.

Pour approfondir

Le livre “Être ou ne pas être CTO” explore ces décisions difficiles avec des témoignages de CTOs sur leurs propres décisions inconfortables.

Pour approfondir, tu peux aussi consulter l’article “Dire non au CEO” ou les autres contenus du pilier “Gouvernance & décision”.