Situation réelle

“Je suis CTO, donc l’équipe doit suivre mes décisions.” Cette phrase, je l’ai entendue plusieurs fois, souvent prononcée par des CTOs frustrés que leurs directives ne soient pas appliquées.

Ce que j’ai observé : l’autorité formelle (le titre) ne garantit pas l’influence réelle (la capacité à faire bouger les choses). Un CTO peut avoir tout le pouvoir formel et aucune influence. Inversement, certains contributeurs sans titre ont une influence massive sur les décisions techniques.

Le faux problème

Le faux problème serait de croire qu’il faut choisir entre autorité et influence. En réalité, un CTO efficace utilise les deux, mais l’influence est son outil principal. L’autorité reste un dernier recours.

Un autre faux problème : penser que l’influence s’obtient par la manipulation ou la séduction. L’influence durable se construit par la compétence, la cohérence, et la crédibilité.

Le vrai enjeu CTO

Le vrai enjeu est de comprendre quand utiliser l’autorité, quand utiliser l’influence, et comment construire cette influence :

Autorité : pouvoir formel, impact limité : Le titre de CTO donne le pouvoir de trancher, d’imposer, de veto. Mais chaque fois qu’on utilise ce pouvoir sans influence préalable, on crée de la résistance passive. L’équipe applique la décision sans y croire, cherche des contournements, ou attend le moment de prouver que c’était une erreur.

Influence : pouvoir informel, impact durable : L’influence permet de faire émerger l’adhésion avant la décision. Quand l’équipe comprend le raisonnement, partage la vision, et se sent écoutée, elle applique les décisions avec conviction. Cette adhésion crée un impact durable.

Le paradoxe du nouveau CTO : Un nouveau CTO a toute l’autorité formelle mais zéro influence. L’équipe observe avant de suivre. Utiliser l’autorité trop tôt détruit les chances de construire l’influence.

Les sources de l’influence : Compétence technique reconnue (mais pas nécessairement supérieure), cohérence entre paroles et actes, capacité d’écoute, humilité dans l’erreur, vision claire et partageable. Ces éléments se construisent dans le temps, pas par le titre.

Cadre de décision

Voici comment je distingue quand utiliser l’autorité et quand construire l’influence :

1. Utiliser l’influence par défaut Pour 90% des décisions : présenter le raisonnement, écouter les objections, ajuster si pertinent, expliquer le choix final. Ce processus prend plus de temps initialement mais crée de l’adhésion durable.

2. Utiliser l’autorité en dernier recours Quand : décision urgente sans temps pour consensus, conflit bloquant sans résolution possible, comportement toxique qui nuit à l’équipe. Dans ces cas, trancher clairement et expliquer pourquoi l’autorité a été nécessaire.

3. Construire l’influence par la cohérence Dire ce qu’on fait, faire ce qu’on dit. Chaque incohérence détruit de l’influence. Si j’impose des code reviews strictes mais je merge sans review, personne ne suivra les standards.

4. Accepter de changer d’avis publiquement L’influence ne se construit pas par l’infaillibilité, mais par la capacité à écouter et à ajuster. Changer d’avis face à de meilleurs arguments renforce l’influence, pas l’inverse.

5. Déléguer l’autorité, investir dans l’influence Plus je délègue les décisions à l’équipe, plus je libère du temps pour construire l’influence sur les décisions stratégiques importantes. Micromanager détruit les deux.

Retour terrain

Ce que j’ai observé dans différentes organisations :

Le CTO autoritaire : Impose ses décisions sans explication. Résultat : application minimale des directives, résistance passive, turnover des meilleurs éléments qui ne veulent pas être traités comme des exécutants. L’autorité sans influence crée de la conformité, pas de l’adhésion.

Le CTO influent : Partage sa vision, écoute les retours, ajuste quand pertinent, explique ses choix. Résultat : l’équipe porte les décisions, propose des améliorations, reste engagée. L’influence transforme les directives en projets collectifs.

La transition difficile : Un excellent développeur promu CTO tente d’utiliser son expertise technique comme source d’autorité (“J’ai 15 ans d’expérience, donc vous devez me faire confiance”). Résultat : l’équipe se braque, l’expertise devient un mur plutôt qu’un pont.

L’influence qui survit au départ : Un CTO quitte l’organisation mais ses principes restent appliqués pendant des années. C’est le signe d’une influence profonde : les décisions ont été comprises et adoptées, pas juste obéies.

Erreurs fréquentes

Confondre titre et crédibilité Croire que le titre de CTO donne automatiquement de la crédibilité. En réalité, la crédibilité se construit par la compétence démontrée et la cohérence dans le temps.

Utiliser l’autorité par défaut Imposer des décisions sans explication parce que “c’est plus rapide”. Résultat : gain de temps à court terme, perte d’adhésion à long terme, résistance passive.

Ne jamais utiliser l’autorité Chercher le consensus à tout prix, même quand une décision urgente est nécessaire. Résultat : paralysie décisionnelle, frustration de l’équipe qui attend un arbitrage.

Incohérence entre paroles et actes Prôner la qualité mais merger du code non testé en urgence. Chaque incohérence détruit l’influence construite. L’équipe suit ce que vous faites, pas ce que vous dites.

Si c’était à refaire

Avec le recul, voici ce que je ferais différemment :

Investir dans l’influence dès le premier jour Passer mes 30 premiers jours à écouter, comprendre, construire de la crédibilité. Ne pas utiliser l’autorité formelle avant d’avoir un minimum d’influence. Cette patience initiale accélère tout le reste.

Expliquer systématiquement mes décisions Même quand je dois trancher, partager mon raisonnement. Cette transparence construit de l’influence même dans les décisions autoritaires, car l’équipe comprend le processus de pensée.

Accepter publiquement mes erreurs Quand une de mes décisions s’avère mauvaise, le reconnaître publiquement et expliquer ce que j’en apprends. Cette humilité renforce l’influence plus que de camoufler l’erreur.

Mesurer mon influence, pas mon autorité Observer : est-ce que l’équipe applique mes suggestions sans que je doive les imposer ? Est-ce que mes principes survivent quand je ne suis pas là ? Ces signaux mesurent l’influence réelle.

Pour approfondir

Le livre “Être ou ne pas être CTO” explore comment construire son influence dans différents contextes organisationnels.

Pour approfondir, tu peux aussi consulter l’article sur “Les premiers 90 jours comme CTO” ou les autres contenus du pilier “Le rôle du CTO”.